samedi 21 novembre 2015

Regard critique sur la laïcité


Les interrogations suscitées par l’islam ravivent le débat sur la laïcité

Regard critique sur la laïcité

Catholique d'origine libanaise, Carlos Hage Chahine s'inquiète du rejet du spirituel dans la sphère privée. Son livre rend intelligent, puisqu’il force à la réflexion.



A l’heure des attentats menés par des partisans du Califat islamique, il n’y a sûrement pas de question plus urgente que celle de la laïcité. On est tenté de l’opposer au totalitarisme islamique : puisque l’islam, et plus encore l’État islamique, confondent le spirituel et le temporel, il faut les séparer ! Cette réponse à l’emporte-pièce a l’inconvénient de vouloir laisser l’homme prisonnier d’une “démocratie totalitaire” où sa volonté est la mesure et la fin de toutes choses. Pour réfléchir à la juste distinction entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel, un livre de Carlos Hage Chahine, La Laïcité de l’État et sa Contrefaçon, est venu l’an dernier apporter des éléments précieux. Publié à Beyrouth, il est enfin disponible en France.

Une tentation mortifère

L’origine libanaise – et catholique – de l’auteur assure à sa réflexion une dimension à la fois très enracinée, très française et très actuelle. Le Liban, avec son réseau d’écoles francophones et ses liens multiséculaires avec la France, a produit tout naturellement des auteurs qui manient avec clarté et élégance la langue de Racine. C’est aussi un pays multiconfessionnel où chaque communauté possède une forme de droit propre, notamment en matière de droit des personnes : véritable condition de survie, notamment pour les chrétiens. Tournée vers la France, une part de la jeunesse intellectuelle libanaise croit aujourd’hui venir à bout de difficultés nationales en réclamant une révolution : la séparation des pouvoirs. Carlos Hage Chahine répond à cette tentation qu’il estime mortifère, et ce faisant offre un regard lucide sur l’effet du rejet du spirituel dans la sphère privée, derrière les portes closes des églises et des foyers. Et ainsi sa réflexion devient aussi leçon pour la France. Cette France dont la classe politique dans sa grande majorité dit avec Chirac : « Non à une loi morale qui primerait sur la loi civile. » Là est le noeud de la question. Où passe la frontière entre le spirituel et le temporel ? Y a-t-il des liens entre eux ? L’organisation politique de la cité peut-elle se passer d’une référence à quelque chose qui la dépasse ? L’Église a-t-elle un droit de regard et de parole sur ce qui se passe dans la cité ?

Empirisme organisateur

À toutes ces questions, Carlos Hage Chahine répond avec clarté, appuyé sur les épaules de bien des géants : Marcel De Corte, Charles De Koninck, Michel Villey, Jacques Maritain (première manière !), et Jean Madiran dont il était proche. Avec modestie, l’auteur laisse à ces philosophes, ces juristes, ces penseurs religieux que relie le thomisme tout le mérite de sa propre argumentation. En réalité, la mise en perspective de leur pensée aboutit à une oeuvre réellement originale qui, face aux solutions toutes faites, oppose une ouverture à la patiente et prudente appréhension du réel. “Empirisme organisateur” ? C’est un peu cela : Hage Chahine rappelle les principes et incite chacun à en tenir compte dans les circonstances qui changent. Le maître-mot de cet ouvrage : l’équilibre. En rappelant que le pouvoir spirituel a pour finalité le salut éternel, et le pouvoir temporel le bien des patries charnelles, l’auteur montre que les frontières entre eux – forcément disputées lorsque l’un veut empiéter sur l’autre – sont assez nettes pour permettre toutes sortes d’organisations de l’État et de la société, depuis l’État confessionnel jusqu’à l’État qui respectera, au minimum, la loi naturelle inscrite dans le coeur de tout homme. En deçà, c’est la persécution, et l’Église du silence, dans les “démocraties religieuses” qui s’arrogent en fait le pouvoir spirituel.

La partie d’un tout

En même temps, ce livre évite l’écueil de “l’excès de pouvoir” des clercs (on pense à la prédication climatologique actuelle d’un pape François, alors que rien ne prouve que la lutte contre le réchauffement soit nécessaire au salut des âmes !) et celui de l’étatisme qui subordonne tout à la nation. En tant qu’individu, rappelle Carlos Hage Chahine de manière lumineuse, l’homme est partie d’un tout et soumis au bien commun que celui-ci assure ; c’est ainsi que se justifie le sacrifice de la vie pour la patrie. Mais en tant que personne douée d’une âme immortelle, l’homme est fait pour un plus grand bien, un plus grand tout : une fin surnaturelle, Dieu lui-même, et cela justifie que tout ne soit pas soumis à l’État. Voilà donc un livre qui rend intelligent, puisqu’il force à la réflexion et à l’adéquation entre l’intellect et le réel. Et parce qu’il ne faut pas bouder un plaisir devenu rare, ajoutons combien il est joliment édité, cousu, agréable à tenir en main et doux pour les yeux. Les bonnes manières d’une civilisation qui s’échappe…


  Carlos Hage Chahine, Pouvoir spirituel, pouvoir temporel – La laïcité de l’État et sa contrefaçon, éditions C & N Hage Chahine, 335 pages, 18 euros ; à commander à l’Artisanat monastique de Provence, tél. 04 90 62 25 23, www.barroux.org

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