jeudi 31 décembre 2015

Un sujet brûlant









Carlos Hage Chahine est juriste, spécialisé dans la philosophie du droit. On lui doit de nombreux articles et ouvrages notamment en collaboration avec son épouse Nevine Hage Chahine. Il consacre aujourd’hui un essai à « La laïcité de l’Etat et sa contrefaçon » et répond aux questions de l’Agenda Culturel. -



1-      Cet ouvrage touche à un sujet brûlant. Qu’est ce qui vous a poussé à l’écrire ?
Il y a plus d’un siècle maintenant que la notion, d’origine chrétienne, de laïcité de l’Etat, dont la doctrine a été échafaudée par des siècles de chrétienté, est détournée au profit de ce que j’ai appelé sa « contrefaçon » et qui est le laïcisme. Comprenons bien qu’il ne s’agit pas de dénoncer une banale erreur, autrement dit un accident qui peut arriver (accidit) dans la recherche de la vérité, mais son exact opposé, j’entends le mensonge, une mystification parée des plus belles vertus mais - ô combien - lourde de conséquences. Faut-il rappeler qu’au nom du communisme et du laïcisme, c’est rien moins qu’un totalitarisme déclaré hier, et, aujourd’hui, un « totalitarisme sournois » (Jean-Paul II) non moins pernicieux, que ces « vertus chrétiennes devenues folles » (Chesterton) ont engendrés. Privé de la surnaturalité de la grâce, qui lui est absolument essentielle, le christianisme se corrompt ; et lorsque « le levain surnaturel » se corrompt, il corrompt simultanément la nature, il devient « un ferment de révolution d’une virulence extraordinaire » (Maritain) à l’origine du désordre moderne. La subversion en marche vérifie tous les jours la formule, d’une prodigieuse exactitude, de Chesterton : « ôtez le surnaturel, il ne reste plus que ce qui n’est pas naturel ». Ce qui se traduit dans le langage de Maritain dans Théonas : « L’humanité qui rompt avec la vie de l’Eglise est précipitée plus bas que si le Christ n’était pas venu. » Et qui élucide la parole mystérieuse du Christ : « Si je n’étais pas venu, et que je ne leur eusse point parlé, ils seraient sans péché » (Jn 15, 22).

2-      Dans cet ouvrage, vous vous inquiétez du rejet du spirituel dans la sphère privée, tout en rejetant les abus des théocraties dominatrices. Comment trouver ce précieux équilibre ?
Si Dieu existe, - et « Dieu existe » répondait Soljenitsyne du tac au tac à son interrogateur sur un plateau de télévision -, on ne peut faire comme s’il n’existe pas. C’est pourtant ce que font les Etats qui prétendent observer une neutralité entre les religions et dans le même temps imposent, par un acte contraignant, l’expulsion de Dieu de tout espace public. Dieu n’a pas créé une poussière d’individus séparés de tout lien préexistant. Créateur et Maître aussi bien des individus que des familles, des nations, et du cosmos, Dieu a imprimé à toute sa Création des lois que l’on ne peut transgresser. Le reconnaître n’est pas une négation de la distinction entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel, qui est la marque de la « saine et légitime laïcité de l’Etat ». C’en est même, je rougis de devoir rappeler ce rudiment, la condition préalable. La laïcité véritable suppose, au moins, le respect de la loi naturelle qui est, comme son nom l’indique, profane. Ce ne sont donc pas les « abus des théocraties », comme le laisse entendre votre question, que la doctrine catholique de la laïcité dénonce, mais le principe même de la théocratie qui est en soi un abus. La laïcité instaurée par le Christ vient précisément restaurer un équilibre des pouvoirs en répartissant entre César et les pontifes des pouvoirs qu’une trop longue confusion réunissait sur la tête de César à la fois empereur et pontife. Rappelez-vous, dans la cité païenne, le pouvoir spirituel était absorbé dans le pouvoir temporel en même temps, dit Maritain, que l’Etat était divinisé. C’est précisément par souci d’équilibre que « le Christ, comme l’explique le pape Gélase Ier au IVe siècle, conscient de la fragilité humaine, a voulu que les autorités chargées de pourvoir au salut des fidèles, fussent équilibrées dans une prudente ordonnance » et pour cela « distingué les devoirs de chaque puissance ». C’était une garantie ou plutôt, selon l’expression de ce saint Pape, « le remède salutaire de l’humilité à tout retour de l’humain orgueil. » Il termine par cette exhortation « qu’aucun ne passe les bornes de son domaine, que chacun se tienne avec modestie à son propre rôle. Et de la sorte nul ne songera à étouffer l’autre ». L’objurgation ne se prête à aucune ambiguïté. Pour avoir dénié à César la « moitié » de ses pouvoirs, et malgré l’exhortation qui leur était faite par saint Paul d’être soumis à l’autorité, les chrétiens des premiers siècles se sont vus reprocher le manque de loyauté envers l’Etat et attirer les foudres de Rome. Dans certaine historiographie, l’accusation perdure contre les chrétiens d’avoir une part de responsabilité dans la chute de l’Empire. Ce qui est à craindre en revanche ce sont les « théocraties » laïques, qui, usurpant au profit de l’homme et des idéologies que nous évoquions plus haut, le caractère absolu qui était réservé au dogme, ont absolutisé le relatif. C’est méconnaître l’homme, disait Aristote, de ne lui proposer que de l’humain. A force d’évacuer Dieu de toutes les sphères publiques, la divinité a ressurgi pour camper des êtres relatifs, tels que la classe, la race, la nation, la déesse liberté, voire la démocratie qu’en France le candidat à la présidence de la République François Hollande déclarait « plus forte que les religions », etc., etc. Marxisme-léninisme, communisme, nazisme, laïcisme ont tous en partage la rage de réaliser dans le temps les promesses de l’éternité. On peut se demander si le terrorisme islamiste n’est pas le dernier-né de ces idéologies révolutionnaires, issu et nourri de cette sorte de messianisme qui est le propre de la Révolution.

3-      Comment votre réflexion peut-elle s’articuler sur un plan pragmatique au cas si particulier du Liban ?
De nombreuses voix s’élèvent au Liban pour réclamer pêle-mêle l’abolition du confessionnalisme accusé de tous les maux et une laïcité intégrale. A les en croire l’une ne va pas sans l’autre et inversement. Comme si confessionnalisme et laïcité étaient antinomiques. Oui le Liban est, à sa base, un Etat confessionnel ou plutôt multiconfessionnel, mais il s’en faut qu’il soit théocratique. Que je sache, nous ne sommes pas plus gouvernés par le clergé qu’assujettis à des lois d’inspiration sacrale. Hormis bien sûr le domaine du statut personnel, ce dont je vais m’expliquer. J’ai même risqué, dans mon livre, l’affirmation que le Liban est le dernier Etat laïque de la planète. Il n’en demeure pas moins que le confessionnalisme n’est pas sans lien avec la religion, en ce sens que si le sens religieux des Libanais, toutes communautés confondues, venait à disparaître, le système du même nom perd du même coup sa raison d’être.
La seule entorse, la seule véritable exception à la laïcité au Liban tient, ou, pour être plus précis, a tenu pendant longtemps au sens collectivement religieux qui fut celui des Libanais. Pour les chrétiens, le mariage religieux indissoluble est un sacrement qui figure l’union du Christ avec son Eglise. Par égard pour une coexistence saine  et basée sur le respect mutuel entre communautés, je ne me crois pas, sur un sujet susceptible de toucher à la foi, autorisé à parler pour les musulmans ; à charge pour eux de réciprocité. Cependant, vu les progrès de l’indifférence religieuse sinon de l’incroyance, je conçois qu’il ne soit plus possible de faire plus longtemps de la foi une condition de citoyenneté et encore moins un carcan. La baisse du sens religieux et la multiplication qui s’ensuivit des litiges liés au statut personnel, exposaient les tribunaux religieux compétents à prendre de trop grandes libertés avec le droit canon, comme de déguiser les divorces en nullité du mariage. Le mariage civil facultatif dont il est question peut dans ces conditions offrir une alternative propre à ménager la liberté religieuse et à la fois mettre les tribunaux religieux à l’abri de se moquer du Bon Dieu. Quant au confessionnalisme, il n’est pas en soi pervers et anti-laïque. Qui dit laïc, dit forcément profane, soit tout le contraire du sacré. Or quoi de plus profane que la loi naturelle, accessible à la raison humaine, que les docteurs de l’Eglise disent commune aux croyants et aux non croyants ? Je ne vois pas au Liban de meilleur lieu de rencontre et de coopération entre les différentes communautés que la loi naturelle ainsi d’ailleurs que le préconisait le pape Pie XII sur un plan universel. Né de circonstances historiques comme seule alternative expédiente pour les chrétiens, après des siècles de domination et de dhimmitude, le confessionnalisme a su ménager aux communautés un espace commun sans préjudice de l’autonomie indispensable à leurs particularismes. Moyennant quoi elles étaient en mesure de gérer ensemble ce qui les rassemble et séparément ce qui les sépare. Les orientalistes ne s’y sont pas trompés en qualifiant les communautés religieuses de véritables nations. Il ne faut donc pas plus raboter le confessionnalisme que l’exacerber. Les sociologues conviennent que les religions sont agglutinantes. C’est comme inscrit dans leur nature de produire des frondaisons temporelles de type culturel. Mais le jour où le confessionnalisme dépasse son domaine réservé qui se limite aux spécificités propres à chaque communauté, pour empiéter sur l’espace commun à toutes, ce jour-là est le signe d’une mutation du système sous les espèces d’une communaulâtrie où la confession est érigée en idole comme la race ou la classe ou la nation. Or l’espace commun est le lieu privilégié d’une compétition politique vouée à la défense d’un bien commun supérieur. Il ne suffit pas que les Libanais disent et redisent leur volonté de vivre ensemble.  Se reconnaissent-ils dans le Liban ? ou sert-il seulement des intérêts convergents mais passagers, le temps de boucler leurs valises ? Car pour constituer une nation, encore faut-il que ce vouloir se greffe sur le sentiment d’appartenir à une communauté qui ne supprime ni ne remplace les confessions mais les transcende. Telle est la marque de l’identité qu’il est égal que l’on dise une communauté et que l’on dise une communauté. L’année climatérique 2005 a révélé aux Libanais l’existence, propice à un clivage politique, d’aspirations communes à l’indépendance et à la souveraineté de leur pays. Traduisent-elles un sentiment réel d’appartenance à une communauté supra-confessionnelle ? Ce sentiment est-il embryonnaire, encore balbutiant, il revient aux Libanais de saisir la chance qui leur est donnée d’en faire un attachement ancré, durable, viscéral ou de la laisser passer.

Carlos HAGE CHAHINE. La Laïcité de l’Etat et sa contrefaçon. Pouvoir spirituel - Pouvoir temporel. Beyrouth, 2014, 13,5 cm. x 21,5 cm., (9)-VI-335 pp, couverture à rabats illustrée en couleurs. http://lalaicitedeletatetsacontrefacon.blogspot.com/

mercredi 2 décembre 2015

Revue de Presse


Ils ont lu La Laïcité de l’Etat et sa contrefaçon…


Comment comprendre, dès lors, cette « saine et légitime laïcité de l’État », selon l’expression de Pie XII, résumant la traditionnelle distinction des deux pouvoirs ? C’est à cette question que s’est attelé Carlos Hage Chahine, catholique et Libanais, dont l’origine lui a donné d’être confronté, au quotidien, à cette question. La laïcité de l’État et sa contrefaçon est un ouvrage bien écrit (et bien fabriqué, ce qui ne gâche rien), dont l’érudition vient souligner l’équilibre du mot d’ordre christique. (texte complet)
Olivier Figueras

L’origine libanaise – et catholique – de l’auteur assure à sa réflexion une dimension à la fois très enracinée, très française et très actuelle. Le Liban, avec son réseau d’écoles francophones et ses liens multiséculaires avec la France, a produit tout naturellement des auteurs qui manient avec clarté et élégance la langue de Racine. (…) oeuvre réellement originale qui, face aux solutions toutes faites, oppose une ouverture à la patiente et prudente appréhension du réel… Le maître-mot de cet ouvrage : l’équilibre. (…) Voilà donc un livre qui rend intelligent, puisqu’il force à la réflexion et à l’adéquation entre l’intellect et le réel. (texte complet)
du 19 novembre au 2 décembre 2015

« Ouvrage très riche ». (texte complet)
3 novembre 2015

Admirable synthèse sur ce que la Tradition nous présente comme la saine et légitime laïcité de l’État, et l’illusion de la pseudo-laïcité qui conduit au totalitarisme… (texte complet)
27 octobre 2015

Ouvrage érudit et savant, il ne manque pas de causticité dans le style et d’esprit polémique dans la démonstration. (…) Ce livre n’est pas aisé à lire pour un chercheur ou un intellectuel imbu de culture juridique et sociologique «positiviste» ou «réaliste». Il faut lire ce livre à l’inverse de ce que fit Marx pour se dégager de Hegel: retirer de la gangue mystique qui l’entoure la conception scientifique de l’Histoire. Il s’agit ici de retirer la dimension religieuse et spirituelle de notre savoir de la gangue positiviste qui l’enveloppe. Et ce n’est pas facile! (texte complet)
5 février 2015

« Sujet très délicat… » (vidéo complète)
8 novembre 2014

À toutes les époques, des divisions ont marqué les rapports entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel. La distinction entre le religieux et le civil ne date pas d'hier. Le Christ demandait déjà à ses contemporains de « rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Aujourd'hui, sur ce sujet brûlant, des centaines d'articles et d'ouvrages paraissent. Carlos Hage Chahine, juriste, spécialiste de la philosophie du droit, leur consacre un essai La laïcité de l'État et sa contrefaçon, qu'il signera demain au Salon du livre. Pourquoi un tel livre aujourd'hui ?... (texte complet)
06/11/2014

Rendre à César...



« Il ne faut pas bouder un plaisir devenu rare… les bonnes manières d’une civilisation qui s’échappe… »



Voilà donc un livre qui rend intelligent, puisqu’il force à la réflexion et à l’adéquation entre l’intellect et le réel. Et parce qu’il ne faut pas bouder un plaisir devenu rare, ajoutons combien il est joliment édité, cousu, agréable à tenir en main et doux pour les yeux. Les bonnes manières d’une civilisation qui s’échappe… (texte complet)

Jeanne Smits
Du 19 novembre au 2 décembre 2015
  
La laïcité de l’État et sa contrefaçon est un ouvrage bien écrit (et bien fabriqué, ce qui ne gâche rien), dont l’érudition vient souligner l’équilibre du mot d’ordre christique. (texte complet)

Olivier Figueras

mardi 1 décembre 2015

Où trouver et commander La Laïcité de l'Etat et sa Contrefaçon.


 


La Laïcité de l’Etat et sa contrefaçon. Pouvoir spirituel - Pouvoir temporel. Beyrouth, 2014, 13,5 cm. x 21,5 cm., (9)-VI-335 pp, couverture à rabats illustrée en couleurs.
 

Peut être trouvé au LIBAN dans toutes les bonnes librairies :












Peut être commandé EN LIGNE






















samedi 28 novembre 2015

Ouvrage très riche




Pouvoir spirituel/Pouvoir temporel : « Ouvrage très riche »

Pouvoir spirituel et Pouvoir temporel, La laïcité de l'Etat et sa contrefaçon de Carlos Hage Chahine (Beyrouth, 2014). Ouvrage très riche : « Individu et personne ou les deux cités » (Ière partie) ; « La doctrine de la distinction ou la subordination de l'inférieur au supérieur » (IIème partie) ; « La doctrine de la séparation ou la subordination du supérieur à l'inférieur » ; avec les Annexes sur : la loi naturelle, les dhimmis dans les pays conquis par l'islam, le confessionnalisme ou L'histoire d'un double mythe, grandeur et déchéance du confessionnalisme libanais.

3 novembre 2015


vendredi 27 novembre 2015

Une laïcité divine



Une laïcité divine


Depuis que le Christ a fixé la règle de la laïcité – « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu », prenant prétexte de ce que les fidèles étaient aussi leurs sujets (ou leurs concitoyens), les princes de ce monde n’ont guère manqué de confondre, sans amour, les deux cités ; imités en cela, soyons honnêtes, par certains princes de l’Église. Comment comprendre, dès lors, cette « saine et légitime laïcité de l’État », selon l’expression de Pie XII, résumant la traditionnelle distinction des deux pouvoirs ?

C’est à cette question que s’est attelé Carlos Hage Chahine, catholique et Libanais, dont l’origine lui a donné d’être confronté, au quotidien, à cette question. La laïcité de l’État et sa contrefaçon est un ouvrage bien écrit (et bien fabriqué, ce qui ne gâche rien), dont l’érudition vient souligner l’équilibre du mot d’ordre christique. Chacun demeure maître chez soi, même si, la cité spirituelle devant survivre à la cité temporelle dans l’autre monde, sa finalité lui donne préséance.

Difficile pourtant de faire admettre cette verticalité, quand l’opinion d’un grand nombre stigmatise comme une contradiction absolue, l’idée d’une deuxième dimension des pouvoirs.


 De citations des papes en travaux de penseurs – Jacques Maritain, Marcel De Corte, Charles De Koninck, Michel Villey, dont il est familier, et Jean Madiran, dont il fut comme un fils intellectuel – Carlos Hage Chahine montre que l’Église a toujours défendu une distinction faite non d’opposition, mais de complémentarité entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel.

Dès lors, lorsque la laïcité se fait contradiction, elle n’est plus nature mais idéologie : le laïcisme, qui n’est, nous dit le sous-titre de l’ouvrage, que la « contrefaçon » – comme tous les totalitarismes en définitive – de cette légitime et saine laïcité. Et qui retrouve, par delà l’opposition des genres, la confusion dominatrice d’une théocratie à quoi se limite l’islam. Et c’est bien parce que le Liban, malgré certains avatars, est fondé sur cette distinction sans séparation que l’auteur le nomme « dernier État laïc de la planète ».

Une laïcité qui est, avant tout, un équilibre – parfois délicat selon les vicissitudes du temps. Individu appartenant à une cité, partie d’un tout, l’homme doit, tout entier parfois, coopérer au bien commun de sa patrie ; créature rachetée, doué d’une âme immortelle, il est en outre destiné à une fin éternelle, Dieu. Et la cité terrestre ne saurait l’en distraire, encore moins l’en détourner. Car, à la fin, tout est à Dieu, y compris César…

Olivier Figueras
 
Carlos Hage Chahine, Pouvoir spirituel, pouvoir temporel – La laïcité de l’État et sa contrefaçon. Éditions C. & N. Hage Chahine, 336 pages. Édité en 2014 au Liban, l’ouvrage est désormais disponible en France, auprès de l’abbaye du Barroux : www.barroux.org

samedi 21 novembre 2015

Regard critique sur la laïcité


Les interrogations suscitées par l’islam ravivent le débat sur la laïcité

Regard critique sur la laïcité

Catholique d'origine libanaise, Carlos Hage Chahine s'inquiète du rejet du spirituel dans la sphère privée. Son livre rend intelligent, puisqu’il force à la réflexion.



A l’heure des attentats menés par des partisans du Califat islamique, il n’y a sûrement pas de question plus urgente que celle de la laïcité. On est tenté de l’opposer au totalitarisme islamique : puisque l’islam, et plus encore l’État islamique, confondent le spirituel et le temporel, il faut les séparer ! Cette réponse à l’emporte-pièce a l’inconvénient de vouloir laisser l’homme prisonnier d’une “démocratie totalitaire” où sa volonté est la mesure et la fin de toutes choses. Pour réfléchir à la juste distinction entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel, un livre de Carlos Hage Chahine, La Laïcité de l’État et sa Contrefaçon, est venu l’an dernier apporter des éléments précieux. Publié à Beyrouth, il est enfin disponible en France.

Une tentation mortifère

L’origine libanaise – et catholique – de l’auteur assure à sa réflexion une dimension à la fois très enracinée, très française et très actuelle. Le Liban, avec son réseau d’écoles francophones et ses liens multiséculaires avec la France, a produit tout naturellement des auteurs qui manient avec clarté et élégance la langue de Racine. C’est aussi un pays multiconfessionnel où chaque communauté possède une forme de droit propre, notamment en matière de droit des personnes : véritable condition de survie, notamment pour les chrétiens. Tournée vers la France, une part de la jeunesse intellectuelle libanaise croit aujourd’hui venir à bout de difficultés nationales en réclamant une révolution : la séparation des pouvoirs. Carlos Hage Chahine répond à cette tentation qu’il estime mortifère, et ce faisant offre un regard lucide sur l’effet du rejet du spirituel dans la sphère privée, derrière les portes closes des églises et des foyers. Et ainsi sa réflexion devient aussi leçon pour la France. Cette France dont la classe politique dans sa grande majorité dit avec Chirac : « Non à une loi morale qui primerait sur la loi civile. » Là est le noeud de la question. Où passe la frontière entre le spirituel et le temporel ? Y a-t-il des liens entre eux ? L’organisation politique de la cité peut-elle se passer d’une référence à quelque chose qui la dépasse ? L’Église a-t-elle un droit de regard et de parole sur ce qui se passe dans la cité ?

Empirisme organisateur

À toutes ces questions, Carlos Hage Chahine répond avec clarté, appuyé sur les épaules de bien des géants : Marcel De Corte, Charles De Koninck, Michel Villey, Jacques Maritain (première manière !), et Jean Madiran dont il était proche. Avec modestie, l’auteur laisse à ces philosophes, ces juristes, ces penseurs religieux que relie le thomisme tout le mérite de sa propre argumentation. En réalité, la mise en perspective de leur pensée aboutit à une oeuvre réellement originale qui, face aux solutions toutes faites, oppose une ouverture à la patiente et prudente appréhension du réel. “Empirisme organisateur” ? C’est un peu cela : Hage Chahine rappelle les principes et incite chacun à en tenir compte dans les circonstances qui changent. Le maître-mot de cet ouvrage : l’équilibre. En rappelant que le pouvoir spirituel a pour finalité le salut éternel, et le pouvoir temporel le bien des patries charnelles, l’auteur montre que les frontières entre eux – forcément disputées lorsque l’un veut empiéter sur l’autre – sont assez nettes pour permettre toutes sortes d’organisations de l’État et de la société, depuis l’État confessionnel jusqu’à l’État qui respectera, au minimum, la loi naturelle inscrite dans le coeur de tout homme. En deçà, c’est la persécution, et l’Église du silence, dans les “démocraties religieuses” qui s’arrogent en fait le pouvoir spirituel.

La partie d’un tout

En même temps, ce livre évite l’écueil de “l’excès de pouvoir” des clercs (on pense à la prédication climatologique actuelle d’un pape François, alors que rien ne prouve que la lutte contre le réchauffement soit nécessaire au salut des âmes !) et celui de l’étatisme qui subordonne tout à la nation. En tant qu’individu, rappelle Carlos Hage Chahine de manière lumineuse, l’homme est partie d’un tout et soumis au bien commun que celui-ci assure ; c’est ainsi que se justifie le sacrifice de la vie pour la patrie. Mais en tant que personne douée d’une âme immortelle, l’homme est fait pour un plus grand bien, un plus grand tout : une fin surnaturelle, Dieu lui-même, et cela justifie que tout ne soit pas soumis à l’État. Voilà donc un livre qui rend intelligent, puisqu’il force à la réflexion et à l’adéquation entre l’intellect et le réel. Et parce qu’il ne faut pas bouder un plaisir devenu rare, ajoutons combien il est joliment édité, cousu, agréable à tenir en main et doux pour les yeux. Les bonnes manières d’une civilisation qui s’échappe…


  Carlos Hage Chahine, Pouvoir spirituel, pouvoir temporel – La laïcité de l’État et sa contrefaçon, éditions C & N Hage Chahine, 335 pages, 18 euros ; à commander à l’Artisanat monastique de Provence, tél. 04 90 62 25 23, www.barroux.org

mercredi 4 novembre 2015

La Laïcité de l'Etat et sa contrefaçon enfin disponible en France

http://www.barroux.org/index.php?page=shop.product_details&product_id=2815&option=com_virtuemart&Itemid=189


"Admirable synthèse"


La Laïcité de l’État et sa contrefaçon
Carlos Hage Chahine
Admirable synthèse sur ce que la Tradition nous présente comme la saine et légitime laïcité de l’État, et l’illusion de la pseudo-laïcité qui conduit au totalitarisme



Artisanat Monastique de Provence
1201 chemin des Rabassières
84330 LE BARROUX

vpc@barroux.org
Tél. : +33 (0)4 90 62 25 23
Fax : +33 (0)4 84 50 84 57

Il est habituellement répondu aux appels téléphoniques
de 11 h 00 à 12 h 00
et de 14 h 30 à 17 h 00. 

jeudi 5 février 2015

Dieu, César et et nous... par Melhem Chaoul

5 février 2015



Dieu, César et nous



Une pièce manquait au dossier «laïcité» au Liban et, partant, à l’approche théorique du pouvoir politique. Il s’agit de la doctrine chrétienne du pouvoir temporel dans ses rapports au pouvoir spirituel. C’est chose faite avec cette publication de Carlos Hage Chahine qui se propose d’«exposer aussi fidèlement que possible le principe de la “saine et légitime laïcité de l’État”, selon la doctrine de l’Église énoncée principalement par les Papes».

Ouvrage érudit et savant, il ne manque pas de causticité dans le style et d’esprit polémique dans la démonstration. Cela parce que l’auteur joue cartes sur table dès le départ: Il est chrétien catholique engagé et semble évoluer dans la mouvance doctrinale fondamentaliste d’un catholicisme atemporel. C.H.C. passe sans heurts du point de vue d’un Pape du Ve siècle à St. Thomas d’Aquin pour conclure avec Joseph Ratzinger. La problématique est posée à partir de la supposition largement répandue, rabâchée par une opinion sensible aux clichés médiatiques, de l’existence d’une contradiction absolue entre un pouvoir civil laïc et un pouvoir religieux clérical. Le travail de Hage Chahine consiste à démontrer, primo, que la doctrine fondamentale de l’Église a toujours été une distinction dans la complémentarité (non une contradiction), entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel, du fait que depuis l’Empereur Constantin, la tendance du pouvoir temporel est de dominer le pouvoir spirituel. Sur ce, l’évolution de la doctrine va aller nécessairement dans le sens de la légitimation du principe de «la laïcité de l’État»; secundo le travail de l’auteur consiste à critiquer avec vigueur ce qu’il appelle «la contrefaçon de celle-ci» à savoir la laïcisation sociétale, c’est à dire l’idéologie «laïciste». 

La démonstration va s’effectuer en trois temps:

1. La doctrine catholique des deux Cités: individu, personne et bien commun. 

2. La distinction, non la séparation, entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel: cas de la subordination de l’inférieur au supérieur.

3. La distinction entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel: subordination du supérieur à l’inférieur. 

Ce n’est pas un hasard si l’auteur a eu recours essentiellement aux enseignements des Papes de l’époque «faste» de la mise en place des Républiques et des «sociétés» laïques, soit le dernier quart du XIXe et la première décade du XXe siècle. Léon XIII, Pie X et Pie XI se sont trouvés au cœur de la controverse sur la dualité des pouvoirs au sein des sociétés européennes du capitalisme industriel triomphant. Léon XIII est le point d’appui aux thèses de C.H.C. «Le gouvernement du genre humain est divisé entre deux puissances: la puissance ecclésiastique et la puissance civile; celle-là préposée aux choses divines, celle-ci aux choses humaines. Chacune d’elle en son genre est souveraine (…) aucune n’est tenue d’obéir à l’autre dans les limites où chacune d’elles est renfermée par sa constitution.»



Le Liban constitue, selon l’auteur, un modèle valable malgré ses tares, de l’application de cette doctrine. Partant de la constatation du fait que «l’organisation judiciaire et législative en matière de statut personnel au Liban, est fondée sur le principe de la distinction des deux pouvoirs et le rejet explicite de toute séparation», et que celle-ci «a fonctionné avec plus ou moins de bonheur tant que la foi et le sentiment religieux étaient ancrés dans les mœurs…», on se situe alors dans le schéma idéal voulu par l’Église, celui de la subordination de l’État à la religion dans des domaines qui, selon les Saints Pères, relèvent de la sphère religieuse, à savoir la famille et l’éducation. 

Cependant, C.H.C. constate avec amertume que la société libanaise (jeunes chrétiens et musulmans) vit «un déclin du sens religieux et communautaire conjugué à un relâchement des mœurs sans précédent dans l’histoire du Liban». À cela s’ajoute un principe fondamental de la doctrine chrétienne, à savoir qu’ «on ne peut imposer la foi comme condition de citoyenneté». Sur ce, l’idée du mariage civil facultatif semble pertinente à l’auteur et s’inscrit dans la doctrine des deux pouvoirs en laissant aux fidèles/citoyens le choix de placer leur union soit dans la sphère religieuse, soit dans la sphère civile. 

Reste un problème de taille pour le chercheur méticuleux qu’est Hage Chahine: s’il existe une issue «doctrinale» pour la société chrétienne libanaise, serait-il légitime d’imposer cette solution aux croyants musulmans, partenaires du vivre-ensemble libanais? «C’est à eux de décider, mais on ne peut rien imposer!», conclut Carlos Hage Chahine. 

Ce livre n’est pas aisé à lire pour un chercheur ou un intellectuel imbu de culture juridique et sociologique «positiviste» ou «réaliste». Il faut lire ce livre à l’inverse de ce que fit Marx pour se dégager de Hegel: retirer de la gangue mystique qui l’entoure la conception scientifique de l’Histoire. Il s’agit ici de retirer la dimension religieuse et spirituelle de notre savoir de la gangue positiviste qui l’enveloppe. Et ce n’est pas facile!