mardi 11 novembre 2014

L'Orient-Le Jour - Fady Noun

06/11/2014

À toutes les époques, des divisions ont marqué les rapports entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel. La distinction entre le religieux et le civil ne date pas d'hier. Le Christ demandait déjà à ses contemporains de « rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Aujourd'hui, sur ce sujet brûlant, des centaines d'articles et d'ouvrages paraissent. Carlos Hage Chahine, juriste, spécialiste de la philosophie du droit, leur consacre un essai La laïcité de l'État et sa contrefaçon, qu'il signera demain au Salon du livre. Pourquoi un tel livre aujourd'hui ? « C'est surtout à cause des rapports tendus entre les deux pouvoirs spirituel et temporel qui marque notre époque, répond l'auteur. Le public a le sentiment que quelque chose ne va pas, et que la solution à cette tension réside dans la "laïcité" de l'État. Il est du devoir des Églises d'être très claires à ce sujet. Car il faut craindre que ce que l'on prend pour la laïcité ne soit sa contrefaçon. »

Faut-il donc être hostile à la séparation entre les deux pouvoirs spirituel et temporel ? « La doctrine catholique a toujours parlé de distinction, et non de séparation, répond Carlos Hage Chahine. Dans le premier cas, nous pouvons parler de la laïcité de l'État. Dans le second de laïcisme. Le terme laïcité est un terme moderne. Saint Thomas d'Aquin n'y a pas consacré un traité, ni Maritain et, en dehors de Journet et Madiran, peu d'ouvrages exposent la doctrine catholique sur le sujet. Mais cela transparaît dans leurs écrits. Ma part est très modeste, j'ai essayé de mettre en valeur cette prodigieuse pensée chrétienne, qui est mal connue, et qui est flétrie jusque dans le clergé, en particulier le clergé oriental, qui lui reproche son rationalisme. Pourtant, saint Thomas d'Aquin n'a jamais idolâtré la raison. Il se contente de la respecter profondément et lui donner toute sa place. Ainsi, la différence entre distinction et séparation n'est pas une subtilité de langage, elle est essentielle. Les deux pouvoirs spirituel et temporel sont distincts mais pas séparés, unis mais pas confondus. »

En quoi le Liban est-il concerné ? Le mariage civil est-il l'expression d'une laïcité acceptable pour vous ? « Le Liban est concerné dans la mesure où le monde entier est aujourd'hui un monde sécularisé qui se pose la question des rapports entre les pouvoirs temporel et spirituel. On parle de mal-être : la société, les familles sont atomisées, il y a un sentiment d'égarement, de solitude, malgré toute la promiscuité qu'on peut rencontrer autour de nous. Nous vivons dans ce que Marcel De Corte, un philosophe belge catholique, grand thomiste, mort au début des années 90, décrit comme la "dissociété" . Le Liban ne fait pas exception, surtout au niveau de ses élites. »


« En ce qui concerne le mariage civil facultatif, j'y suis favorable pour la raison que nous ne sommes plus dans une chrétienté où les chrétiens professent collectivement, sinon unanimement, la même foi. Aujourd'hui, il est des chrétiens qui, invoquant la modernité, au lieu de se conformer à la doctrine chrétienne, veulent conformer la doctrine à l'idée qu'ils s'en font. Pour ces chrétiens, qui ne se réclament plus de la doctrine, nous ne pouvons pas poser la foi comme condition de citoyenneté. Donc je suis pour le mariage civil facultatif pour les non-musulmans, car le mariage relève du pouvoir sacral en islam et nous ne pouvons pas nous autres chrétiens nous ériger en interprètes autorisés des écritures saintes de l'islam, à charge de réciprocité. Ce serait la solution la plus sage que nos aînés ont imaginée en 1959 pour les successions. »


Fady Noun - L'Orient-Le Jour